LES DIX LEPREUX

Publié le par Jacques VALLUIS

Evangile de Luc Chapitre 17 versets 11 à 19

 

 

SAVOIR DIRE MERCI…ET VITE !

Voici un beau miracle pour nous changer les idées !
On observera que la lèpre réuni dans un même désarroi et la même exclusion des gens qui, d’ordinaire s’ignoraient ou se détestaient : juifs et pharisiens comme si l’on disait aujourd’hui israéliens et palestiniens.
La maladie a d’étranges pouvoirs, et a fortiori la mort… Dans les cimetières les gens cohabitent paisiblement.
Les gens ne sont plus ni galiléens, ni samaritains, ni judéens mais seulement des lépreux, des impurs, des non hommes.
On remarquera que ces lépreux sont très disciplinés et respectueux des usages : ils se tiennent à distance et annonce leur venue pour que l’on évite tout contact avec leur impureté.
Ils demandent miséricorde au Maître.
Jésus leur enjoint alors d’aller voir les prêtres comme il est d’usage pour faire constater leur guérison ainsi que le commande le Lévitique. Ce n’est qu’en chemin vers le Temple que la purification/guérison surviendra. D’ailleurs le texte ne nous en dit rien. Le fait est là, après avoir rencontré Jésus, ils vont être guéris.
Et pendant que les neuf autres courent voir leur prêtre respectif, un seul va faire demi-tour pour venir rendre grâce :

-         Un sur dix ! Pour dire merci tout de suite, ce que Jésus relève non sans un brin de tristesse.

-         Cet unique est un…samaritain. L’hérétique aux yeux des juifs sait seul dire merci quand il le faut.

Prenons toutefois l’espace d’un instant la défense des neuf autres –auxquels nous ressemblons beaucoup- :

-         Après des années de marginalisation, d’exclusion, ils ont hâte de recevoir du prêtre le « billet » qui leur permettra de réintégrer la société des hommes.

-         Ils devaient être à n’en point douter pleins de reconnaissance eux aussi, mais ils se sont sans doute dit nous viendrons lui dire merci, mais plus tard. Et le récit montre que « plus tard », ce n’est en fait jamais.

La première leçon de ce morceau d’Evangile est qu’il faut savoir dire merci et vite même lorsqu’il semble qu’il y a plus pressé, plus urgent !

EN CHEMIN…

Jésus est en route pour la destination ultime de Jérusalem, là où il connaitra la  mort et la résurrection.
L’histoire de la guérison des dix lépreux  se déroule alors qu’il est en chemin au moment où il traverse un pays hostile et étranger : la Samarie, entre la Galilée du Nord et la Judée du sud. Ce sont des lieux où, en principe, on ne s’arrête pas, où l’on passe vite, où il est préférable qu’il ne se passe rien. Or c’est précisément là que toute l’histoire se déroule, à la frontière entre la Galilée et la Samarie.

Jésus n’a rien provoqué : un groupe de lépreux vint à sa rencontre près d’un village, dit le texte.
Jésus entend leur cri, un cri inattendu aussi.
Au lieu du cri habituel d’avertissement : Impurs ! Impurs, n’approchez pas de nous ! Jésus entend : Pitié ! Pitié.
Ils crient : Jésus ! Maître aie pitié de nous !
Là aussi, tout se passe très vite. Il n’y a pas d’hésitation. Jésus a accepté d’entendre et de voir ces lépreux, qu’il était interdit d’approcher et de rencontrer par peur de la contagion.
Jésus a vaincu sa peur et la peur des disciples qui sont avec lui.
Luc souligne ce mot : Jésus les vit.
Il n’a pas fait semblant de ne pas entendre ce cri de détresse et de ne pas voir l’aspect horrible et pitoyable de la lèpre qui ronge leur visage et leurs membres.
Jésus les vit souligne bien le texte.
Et il leur dit d’aller voir les prêtres qui  vont constater que les dix lépreux sont guéris. Guérison étonnante qui là aussi se fait sur le chemin. Pas dans la synagogue, mais « hors les murs » puisque ces dix lépreux sont exclus de la société.
Et lorsque l’un des dix revient vers Jésus et rend grâce, Jésus lui dit à nouveau de se mettre en chemin, de marcher.
Lève-toi et va ! Ressuscite et marche ! Ta foi t’a sauvé !

 

Cette histoire est une parabole pour nous. L’image de notre vie qui est une marche, jalonnée de rencontres inattendues et souvent imprévues.
La Bonne Nouvelle de cette histoire nous appelle à accepter en chemin les surprises de la rencontre de nos prochains placés sur la route de nos existences.
Il y a donc un Evangile pour nous dans cette histoire de Luc XVII, et cette Bonne Nouvelle c’est que le miracle ne se trouve pas là où on l’imagine.
Elle réside d’abord dans le fait  que Jésus s’arrête devant nous, à la porte de notre vie, aujourd’hui, pour nous proposer une guérison…
Elle montre également comment la prière de reconnaissance est un remède contre notre amnésie naturelle.
Elle souligne enfin le fait que Jésus nous appelle à nous mettre debout dans la foi pour aborder l’aventure de la vie.

LE TEMPS DE LA RENCONTRE

On avait relégué les lépreux dans des ghettos, dont la description est donnée dans des versets terribles du Lévitique :
Le lépreux atteint de la plaie portera ses vêtements déchirés et aura la tête nue ; il se couvrira la moustache et criera : Impur ! Impur !...
Aussi longtemps qu’il aura la plaie, il sera impur. Etant impur, il habitera seul ; sa demeure sera hors du camp.

Jésus n’était pas un guérisseur professionnel, un faiseur de miracles, un magicien. Plus d’une fois la foule réclame des miracles et Jésus se dérobe car il ne veut pas que l’on confonde le signe avec son message qui doit prévaloir, le miracle n’étant que le signe du salut : la Bonne Nouvelle en actes.
Dans les Evangiles, Jésus est toujours en chemin dans ce long voyage qui aura son terme à Jérusalem.
Tout se passe à l’occasion de ce cheminement : les rencontres, l’enseignement, les guérisons, les sermons et les paraboles.

 

 

 

Notre vie aussi est un voyage peuplé de rencontres, de surprises, de découvertes, et au bout du chemin on s’aperçoit que l’important n’était pas l’objectif que l’on s’était assigné à l’avance, mais le chemin lui-même.
Cette histoire nous concerne et nous interpelle. Elle signifie peut-être que nous ne sommes jamais installés pour la vie dans des situations acquises et immuables. Dans le grand voyage de ma vie, même si je ne suis pas enclin à bouger, même et surtout si je suis conservateur, en politique, en morale ou en religion, dans mes habitudes, mes choix, mes relations, quoique je fasse, les choses vont inéluctablement bouger autour de moi, les gens vont bouger, le monde va bouger.
Je vais moi-même changer, vieillir, me modifier, mûrir, découvrir l’inattendu, être malade peut-être, puis guérir, vivre, en un mot, puis un jour mourir.
Nous aussi, comme Jésus, nous faisons route vers Jérusalem, vers le terme de notre vie et l’essentiel, ce sera le voyage lui-même et toutes les rencontres et surprises que nous allons découvrir en chemin.
Dans le récit de ce jour, la surprise, l’inattendu, l’imprévu, c’est la rencontre de ces dix lépreux.
Jésus ne refuse jamais de voir celui qui croise sa route.
Il ne traverse pas la vie, les yeux rivés au sol uniquement préoccupé par ses petits ou grands problèmes personnels, ni les yeux levés au ciel pour fuir les réalités les bonheurs et les misères de la terre.
Il marche sur les chemins de Galilée et de Samarie, le regard ouvert, disponible curieux et prêt à la rencontre.


Il y a aujourd’hui en France des lèpres que nous sommes tentés de ne pas voir, d’autres lépreux dont nous refusons, peut être, d’entendre le cri : exclus, quelle que soit la source de leur exclusion, chômeurs, sans papiers, sans logement, victimes du racisme et de la discrimination sous toutes ses formes, toutes ces personnes angoissées, pourchassées, mises à mal, reconduites à la frontière, que sais-je encore ?

Ce que l’Evangile de Luc dit de la rencontre de Jésus nous concerne au premier chef si nous prenons la peine d’ouvrir nos cœurs, nos yeux nos oreilles et si nous acceptons de rencontrer voire d’aller au devant de frères qui sont en butte à l’errance ou à la souffrance.

Souvenons nous que nous avons été rencontrés par Jésus alors que nous étions des exclus de l’espérance, des prisonniers de nos lèpres intérieures.
Dieu nous a vus, nous a entendus, alors que nous n’osions nous approcher de Lui et que nous nous tenions à distance comme les dix lépreux du récit.

De même que Jésus les a vus et entendus, Dieu nous voit et abolit la distance qui nous sépare de Lui, brisant les murs de notre ghetto.

Parce que quelqu’un s’est un jour arrêté sur ma route, parce que Dieu a croisé mon chemin, qu’Il ne s’est pas dérobé et parce qu’Il m’a aimé, j’ai été guéri et pardonné.
Mais que s’est-il passé en somme lorsque les dix lépreux ont crié et imploré avec le fameux « Kyrie Eleison » ?(Seigneur aie pitié de nous !).
Jésus leur a donné un juste conseil dans lequel était cachée une secrète espérance.
D’ailleurs n’est-ce pas d’espérance dont ces hommes avaient le plus besoin ?

Allez-vous montrer aux prêtres…

Seuls les prêtres étaient habilités à constater les guérisons de lépreux et à autoriser leur réinsertion dans la société.
Vous l’avez observé : la guérison intervient hors la présence de Jésus pendant qu’ils sont en chemin pour aller voir les prêtres.

Pendant qu’ils y allaient, il arriva qu’ils furent purifiés.

Le miracle a lieu au moment où un peu d’espérance, un peu de confiance, un peu d’humanité leur a été rendue par cet homme qui ne s’est pas dérobé à la rencontre.
Le miracle fut dans cette parole d’amour, de dignité, de liberté, entendue et reçue par ces hommes de l’ombre, ces hommes abandonnés à leur triste sort.

Il n’y eut aucune eau magique, aucune relique, aucune apparition miraculeuse, aucun fluide, aucun saint guérisseur, simplement une parole.

Uniquement une parole qui avait osé défier l’opinion publique, le découragement public pour oser s’adresser à des hommes en situation apparemment désespérée, impossible, bloquée.
Mais précisément dans cette parole était la vie.
Ce récit doit nous inciter nous aussi à devenir des hommes de la parole, parole d’espérance dans les situations inextricables auxquelles nos frères sont confrontés.

Toute parole d’amour porte en elle le miracle et la guérison.
C’est ainsi que notre lèpre a été guérie par celui qui nous a aimés le premier, qui nous a parlé, qui nous a bénis.
Tel est le grand miracle de cette histoire évangélique : une parole qui détruit la solitude et la désespérance des ghettos.
Miracle de la parole qui guérit !


LE TEMPS DE LA RECONNAISSANCE

Le second temps de l’histoire est celui de la reconnaissance.
Reconnaitre. Connaitre à nouveau, être soudain lucide et conscient de la guérison reçue, de l’amour offert. Temps de la conscience, temps de la mémoire.
Deuxième miracle, contre notre amnésie, notre ingratitude, notre morosité.
Neuf des dix lépreux guéris sont aussitôt retombés dans la routine banale et médiocre d’une vie  sans louange, malgré l’extraordinaire cadeau de la guérison inespérée dont ils venaient d’être gratifiés.
Ils avaient tout tenté pour sortir du marasme de leur maladie et cette fois, inexplicablement ils en sortaient sans qu’il y ait eu une intervention thaumaturgique quelconque. Du moins le pensaient-ils.

Au fond ce n’était que justice puisqu’ils avaient bien assez souffert comme cela, et à quoi bon remercier puisqu’après tout Jésus ne les avait même pas touchés et encore moins traités comme l’aurait fait un médecin.

 

 

 

Un seul des dix lépreux dit Luc, se voyant  guéri revint sur ses pas, glorifia Dieu à haute voix, tomba face contre terre aux pieds de Jésus et lui rendit grâce.
Un seul, et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit d’un samaritain, un étranger doublement lépreux, puisqu’enfermé dans le ghetto de sa maladie et dans celui de sa nationalité honnie par les juifs, car ils sont hérétiques.

Les dix n’ont-ils pas été purifiés ?demande Jésus.
Les neuf autres, où sont-ils ?
Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir et rendre gloire à Dieu ?

Un sur dix…
Maigre proportion !

Le second message d’Evangile du récit des dix lépreux doit être un appel à la prise de conscience de la présence effective de Dieu dans nos vies. Et c’est loin d’être évident si l’on se réfère à la proportion que nous venons de constater. C’est donc à une interpellation que nous devons répondre à
une incitation de tous les instants à la prière de reconnaissance pour tous les dons de l’amour de Dieu qui nous sont dispensés.
C’est enfin un élan vers l’eucharistie – comme le dit le texte grec – c'est-à-dire vers l’action de grâce pour désigner la louange qui doit nous animer.

L’Evangile de ce jour doit donc constituer pour nous un électrochoc, pour réveiller notre mémoire sélective, notre ingratitude et notre propension naturelle au manque de reconnaissance.
Nous sommes appelés à réaliser enfin que nous sommes guéris c'est-à-dire sauvés par la force de la Parole et à en prendre la mesure.

L’un deux se voyant guéri…

La Bonne Nouvelle nous appelle à voir d’un regard neuf les choses, les gens, notre vie parce que nous sommes au bénéfice de la grâce qui nous permet d’être aimés reconnus et guéris.
Alors nous serons envoyés vers les autres, car c’est là notre vocation.

 

 

 

LE TEMPS DE L’ENVOI EN MISSION

Le troisième et dernier temps de ce récit, c’est celui de l’envoi, comme très souvent dans les histoires de guérison des Evangiles.

Jésus lui dit alors : Lève- toi ! Va, ta foi t’a sauvé !

Après le temps de la guérison, celui de la reconnaissance, voici venu celui de la liberté de la responsabilité, de la mission.
Le lépreux samaritain est au bénéfice d’une guérison par une parole qui l’a « élargi » qui l’a bouleversé guéri et converti.

Lève-toi dit Jésus à l’homme guéri, prosterné à ses pieds éperdu de reconnaissance.
Lève-toi, j’aime beaucoup cet ordre de Jésus. C’est le même mot en grec que ressusciter.
Lève-toi, redresse-toi de toute ta stature d’homme.
Tu es guéri/sauvé, tu as retrouvé la dignité et recouvré ta place dans la communauté des hommes dont tu étais exclu. Debout, abandonne ta posture d’humilié.
Relève-toi d’entre les morts, ressuscite de ta mort et entre dans la vie. Dans une vie nouvelle.

Lève-toi également de ta prosternation, de ta prière, et même de ta reconnaissance.
Il faut savoir venir à l’Eglise pour prier et partager sa joie avec des frères, mais il faut aussi savoir en ouvrir les portes et parcourir les chemins pour vivre intensément, en esprit et en vérité les rencontres de la vie.

Il y a un temps pour la guérison, un temps pour la reconnaissance, et un temps pour la force et la dignité d’hommes.
Un temps pour recevoir et un temps pour donner.
Un temps pour méditer et un temps pour combattre.
Un temps pour le culte et un temps pour la mission.

Lève-toi, redresse la tête, mets-toi debout, à ton tour de marcher à la rencontre des autres. Il y a encore beaucoup de ghettos autour de toi.

A ton tour d’être porteur d’une parole d’amour, d’une parole de vie, d’une parole de foi.

Va vers les frontières, entre la Galilée et la Samarie, vers les frontières de ton Eglise, de ton milieu familial, de ton pays, de ta classe sociale.
En chemin tu rencontreras sûrement dix lépreux.
Ne fais pas semblant de ne pas les voir ou de ne pas les entendre.

Va ! Mets-toi debout. Le temps de la guérison et le temps de la prière ont préparé et introduit au temps de la rencontre et du témoignage, au temps de la mission.

Lève-toi ! Le chemin est encore assez long, grâce à Dieu. Tu ne t’ennuieras pas.
Il y a encore pour toi, au minimum une onzième heure, la onzième heure de ta vie.

Lève-toi ! Va ! Ta foi t’a sauvé !

AMEN

 



 

Publié dans Prédications

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