Questions autour d'un tombeau vide

Publié le par Eric George

Prédication du dimanche 8 avril 2012

Dimanche de Pâques

Actes X, 34 à 43

I Corinthiens V, 6 à 8

Jean XX 1 à 18

 

Ce matin, frères et soeurs, nous n'entrerons pas au tombeau, nous ne suivrons pas Pierre et Jean dans leur course, dans leurs questions de préséance, d'investigation et de foi.

Ce matin, nous resterons dehors, avec les femmes, avec une femme en fait, Marie de Magdala, qui est doublement le premier témoin de la résurrection, première à découvrir le tombeau vide, première à voir le ressuscité.

Nous resterons avec elle parce qu'elle est dans  la nuit, parce qu'elle nous permet de dire "nous", parce qu'elle nous permet de dire "je".

 

C'est le matin, le commencement d'une nouvelle semaine, mais pour Marie, il fait encore sombre, c'est encore la nuit. Celles et ceux qui sont venus participer à notre aube pascale ont bien à l'esprit, cette "encore obscurité" du matin, de cette journée pas encore commencée. Mais nous savons aussi que dans l'évangile selon  Jean, cette obscurité n'est pas seulement une indication horaire. L'obscurité nous dit  le début de l'évangile selon Jean, c'est la situation de notre monde dans lequel rayonner cette lumière qui est parole. C'est pourquoi je pense que c'est bien dans nos ténèbres, dans notre obscurité que se tient Marie de Magdala.

Nos ténèbres, c'est à dire tout ce qui nous empêche de vivre vraiment la joie de Pâques, la nouveauté de ce jour. Sans doute, cela évoque d'abord nos tristesses. Notre nuit ce sont nos blessures personnelles, nos échecs, nos culpabilités, nos deuils et nos regrets, nos habitudes et nos routines peut être aussi, tout ce que nous percevons comme des prisons.

Notre nuit ce sont aussi des tragédies plus générales, toutes les injustices et les horreurs de notre monde, tout ce qui nous empêche d'y voir le règne de Dieu. Vous  savez, toutes ces très bonnes raisons de ne pas croire en un Dieu d'amour, toutes ces actualités qui viennent malmener notre foi.

Mais notre nuit peut aussi prendre un aspect plus faussement lumineux, nos ténèbres, ce sont aussi tous ces moments de joie dans lesquels nous nous oublions et nous nous perdons. Ces temps de joie où nous croyons nous suffire à nous même, ces temps de bien-être où nous ne voulons plus nous remettre en question. Nous croyons souvent que le malheur nous éloigne de la foi, mais le bonheur nous conduit aussi à l'oubli, à l'éblouissement et à l'aveuglement ; ainsi, il peut être aussi notre nuit.

Et dans cette nuit, Marie de Magdala nous montre une pierre roulée, comme une porte ouverte sur l'inconnu, comme un point d'interrogation.

 

En effet, face au tombeau vide, Marie de Magdala nous permet de prendre le temps de nous poser la question. On a enlevé le Seigneur et nous ne savons pas où on l'a mis ?

 Pierre enquête, il inspecte les lieux, prélève les indices, Jean croit, mais Marie, elle, s'interroge. Et elle nous englobe dans sa question. Avez vous remarqué qu'en allant trouver les disciples, Marie, qui est seule au tombeau dit "nous" ? "Nous ne savons pas où ils l'ont mis..."

Ce nous de Marie, c'est nous... Nous en tant qu'humains d'abord. Car tous comprennent bien qu'à la source du christianisme, il y a une question, il y a un mystère. Que fêtent vraiment les chrétiens aujourd’hui ? Comment ce non-événement de la disparition du corps d'un supplicié a-t-il pu ainsi changer le monde ?

Ce "nous" de Marie, c'est nous en tant que chrétiens également. Bien sûr, notre foi nous donne une réponse à la question "comment cet homme, ce Jésus de Nazareth, ce fétu de paille, a-t-il pu transformer le monde ?". Mais la passion du Christ, sa résurrection nous posent tellement de questions : pourquoi cette mort ? comment peut elle nous sauver ? Qu'est ce que la résurrection ? et la plus évidente "pourquoi le ressuscité ne se montre-t-il pas ?". "On a enlevé le Seigneur et nous ne savons pas où on l'a mis ?"

Cette interrogation, Marie ne la garde pas pour elle, elle va la partager avec les disciples. C'est aussi le sens du "nous" : il est plus facile de dire "nous ne savons pas" que de dire "je ne sais pas", l'aveu d'ignorance est plus facile quand il est collectif. Mais ce n'est pas une pique que je lance à notre fierté : dire "nous ne savons pas" c'est dire "cherchons ensembles". Le tombeau vide marque la limite de nos intelligences, de nos connaissances. Mais ce n'est pas pour que nous baissions les bras et renoncions à comprendre. Regardez d'attitude des disciples face à l'annonce de Marie : ils se mettent en route, ils cherchent et d'attitude de foi de Jean n'est pas opposée à l'enquête de Pierre : on peut croire et réfléchir en même temps. Et le faire à plusieurs est souvent plus fécond. Vous le savez bien, vous tous qui êtes venus ce matin, vous tous que le point d'interrogation du tombeau vide a rassemblés.

 

Mais, pendant que Pierre mène son enquête, Marie va reprendre la même question "On a enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l'a mis". La même question ? Pas si sûr. Les interlocuteurs, le passage à la première personne du singulier ("mon Seigneur", "je ne sais pas") indiquent bien que la question n'est plus sur le même registre.

Avec les disciples, on était dans le cadre de la recherche intellectuelle sur la résurrection, sur le plan historique ou théologique du "Qu'est ce que cela veut dire ?". Mais face aux anges, en réponse à leur question « Femme pourquoi pleures-tu ? » Marie témoigne d'un désarroi plus profond : "Je ne sais pas où est mon sauveur", je ne sais pas où est celui qui donne un sens à ma vie.

 Ce désarroi là, ni la recherche des disciples, ni l'enseignement du pasteur ne peuvent y répondre (tout au plus, peuvent-ils le mettre en évidence, lui donner sa place, c'est à dire la place centrale. Où est MON seigneur ? Où est celui qui donne son sens véritable à mon existence ? C'est la question essentielle de Pâques. Toutes les autres questions, aussi intéressantes soient elles sont inutiles si elles ne nous conduisent pas à cette question : qu’est ce que le tombeau vide signifie pour ma vie ? Quelle porte, la pierre roulée ouvre-t-elle ?)

Ce désarroi là, même les anges n'y répondent pas. Et c'est Jésus qui va y répondre lui-même. Il va d’abord l’interroger pour lui permettre de dire ce qu’est vraiment sa question. Il va reprendre la question des anges : « Pourquoi pleures tu ? » C'est-à-dire « Quelle est ta peine »  « quelle est ta souffrance ? » « Quel est ton fardeau ? » mais il a va aussi la préciser : « Que cherches tu ? » c'est-à-dire « Quel est ce manque dans ta vie ? » Par ces deux questions, il montre toute la profondeur de l’interrogation de Marie. Et cette interrogation, il va y répondre. Mais pas avec un grand exposé théologique, pas avec une leçon de catéchisme, pas même avec un sermon.  C’est simplement en la nommant qu'il va répondre à l'interrogation de Marie. En la nommant.

On pourrait traduire ainsi le dialogue entre Marie et le ressuscité :

- Où est mon Seigneur, où est le sens de ma vie ? Où est ce qu'on m'a enlevé, ce que j'ai perdu ?

-Je suis là, je suis vivant, je suis avec toi, je suis là pour toi.

 

Cette réponse va être pour Marie un bouleversement, un retournement et un envoi : "ça trouver mes frères et dis leurs…"

 

Frères et soeurs, que le tombeau vide soit l'occasion pour chacun de se poser les vraies, les bonnes questions. "Que cherches tu ? Pourquoi pleures tu ?" Quelle est cette détresse que je ressens dans ma vie ? Quel est ce vide que rien n’arrive à combler ? Et que ces questions nous permettent d'entendre celui qui nous appelle par notre nom. Celui qui nous dit "Je suis vivant. Je suis là. Pour toi."

 

Amen

Publié dans Prédications

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