Pour une bonne manière de se plaindre

Publié le par Eric George

Prédication du 27 novembre 2011-11-27

Esaïe LXIII-16 à LXIV, 7

II Corinthiens V, 14-21



Pour une bonne manière de se plaindre à Dieu. le titre de ma prédication. En ce premier dimanche de l’Avent, apprenons à nous plaindre..

En effet, je crois que nous ne nous plaignons pas assez. Ou peut-être que nous nous plaignons trop mais au bon endroit, pas à la bonne personne.

Notre vie est peuplée de récriminations. Nous nous plaignons de notre conjoint, de nos enfants, de nos parents, de nos voisins, de nos dirigeants, de nos employés, de nos patrons, de nos collègues, de notre pasteur, de nos paroissiens, de notre Eglise, de nos robinets qui fuient, de nos voitures qui nous lâchent, de notre corps qui flanche, de temps qu’il fait, du temps qui passe… Et la liste pourrait être encore longue.

Oui, nous nous plaignons beaucoup, nous nous plaignons chaque jour. Et le dimanche matin, à 10h30, quand nous arrivons au temple, quand l’orgue joue ses première mesure, youkaïdi, la vie est belle et tout n’est plus que louange, action de grâce et confession de foi. C’est sans doute très bien, mais il devient difficile de croire que notre culte s’inscrit au cœur de notre vie.

Pourtant, la Bible est pleine de plaintes, de lamentations, de cris de détresse. Alors, ce matin, avec Esaïe apprenons à nous plaindre à Dieu, et peut-être même à nous plaindre de Dieu.



C’est une époque dure qu’évoque le prophète, les villes saintes ne sont plus que désert, Jérusalem est dévastée, le Temple a été incendié. Et, dans ce temps de désolation, on se rappelle des jours anciens, des jours où Dieu était forcément présent, où le ciel était forcément plus bleu, où tout allait forcément mieux. Oui, à première lecture, nous avons l’impression qu’au milieu de ces ruines, Esaïe fait comme nous au milieu de nos malheurs, il regarde en arrière, il évoque le bon vieux temps.

Puisque nous décelons une ressemblance dans nos plaintes, puisque nous nous reconnaissons alors dans Esaïe, profitons-en pour mieux voir nos différences…

Que demandons-nous à Dieu au milieu des ruines de nos échecs ou de nos malheurs ? Quels cris poussons nous vers lui lorsque tout s’effondre autour de nous ? Lorsque les choses vont mal dans nos vies, dans notre société, dans notre Eglise, nous nous tournons vers Dieu et nous le supplions : « Viens remettre de l’ordre, viens réparer, viens guérir ! » Esaïe, lui, gémit : « Nous sommes ceux sur qui tu n’exerces plus ta souveraineté, ceux sur qui ton nom n’est plus appelé ». Sa supplication serait plutôt « sois à nouveau notre Dieu ». Il y a une différence énorme entre « Seigneur, ma vie part à vau-l’eau, viens passer un coup de balais et réparer ce qui est brisé » et « Seigneur, ma vie part à vau-l’eau, vient me conduire et me diriger ».

En effet, la cible de notre plainte, c’est l’autre : celui qui me fait du mal, mon voisin ou l’étranger, le sort, la société le monde. Nous nous plaignons de quelqu’un ou de quelque chose .

Mais dans Esaïe, la cible de la plainte d’Israël, c’est Israël lui-même. Esaïe n’accuse pas l’autre de son malheur, mais lui-même.



Deux mises en garde : D’une part, il ne s’agit certainement pas d’aller asséner à celui qui se plaint qu’il ferait mieux de se plaindre de lui-même. Ca c’est l’attitude des amis de Job et elle est condamnée par Dieu. L’enseignement de la Bible est à appliquer à nous-même et non pas aux autres. Une vieille histoire de paille et de poutre…

Attention également à ne pas conclure que si il nous arrive des malheurs, c’est parce que nous nous sommes détournés de Dieu. Esaïe rappelle les délivrances de jadis, l’action de Dieu pour son peuple. Or si Dieu pouvait délivrer son peuple à l’époque où celui-ci était fidèle, c’est bien que cette fidélité n’empêchait pas le malheur de frapper. La différence c’est qu’à cette époque, la délivrance arrivait.

Nous ne devons donc pas entendre dans ce texte que si nous sommes frappés par le malheur, c’est parce que nous nous sommes détournés de Dieu. Mais plutôt que c’est parce que nous nous sommes détournés de Dieu que le malheur qui nous frappe nous abat, nous pétrifie, nous anéantit…

En effet, Esaïe se plaint moins du malheur d’Israël que de sa révolte qui l’empêche de dépasser son malheur : « Pourquoi nous fais-tu errer loin de tes chemins et endurcis-tu nos cœurs ? »



« Pourquoi nous fais-tu errer loin de tes chemins et endurcis-tu nos cœurs ? » Et là nous bondissons. Parce que là, nous n’entendons qu’une chose : Esaïe reproche à Dieu la révolte de son peuple. Esaïe accuse Dieu d’être un pervers. En effet, conduire le peuple à la révolte pour ensuite le punir de s’être révolté, c’est quand même particulièrement retors. Quel horrible Dieu que celui-ci !

Sauf que dans la bouche d’Esaïe, il n’y a aucune accusation, aucune révolte, aucun procès, aucun jugement contre Dieu, juste une supplique. Je crois qu’il ne nous faut rien entendre d’autre dans ce « Pourquoi endurcis tu nos cœurs » qu’une formidable humilité.

En effet, lorsque nous nous révoltons contre Dieu, nous voyons notre « non » à Dieu comme l’expression de notre liberté, de notre identité même. Après tout, nous savons bien que les enfants se construisent en disant « non », que le premier pas vers l’autonomie, c’est toujours un « non ». Dire « non » à Dieu c’est affirmer notre choix, notre contrôle sur notre vie. Lorsque nous disons « non » à Dieu, nous affirmons avec le Satan de Milton qu’il vaut mieux régner en enfer que servir au Paradis. Ma révolte contre Dieu c’est la seule chose qui soit à moi, alors j’y tiens, je m’y accroche.

Eh bien Esaïe, lui, affirme « même ma révolte contre Dieu ne m’appartient pas, même mon cœur qui se raidit contre Dieu de toutes ses forces ne m’appartient pas »

Je ne crois pas qu’il faille chercher dans cette affirmation d’Esaïe une réponse à l’énigme du mal. En revanche, nous devons l’entendre pour ce qu’elle est, une affirmation de la totale souveraineté de Dieu, une abdication de tout orgueil humain.

Bien sûr cela nous paraît dur à entendre, et pourtant c’est bien ce qui introduit la conclusion de la supplique, « c’est nous l’argile, c’est toi qui nous façonne »

Le texte est un ensemble compris entre deux affirmations « Notre père, c’est toi ». Au début, nous étions pétrifié, endurcis, figé et, sur cette dureté, sur cette pétrification, tout semblait condamné à s’arrêter. Et à la fin de cette supplique nous revoilà devenu argile, souple, une argile dont Dieu peut faire une créature nouvelle.



Frères et sœur, en cette période de l’Avent, qu’éclate tout ce qui nous sclérose et nous pétrifie et que le Dieu qui vient fasse de nous une argile souple, une argile dont il pourra faire une nouvelle créature



Amen

Publié dans Prédications

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