Ce n'est pas qu'un au revoir

Publié le par Eric George

Prédication du 8 août 2010

Psaume 33

I corinthiens II, 1 à 5

Actes XX, 17 à 38



Après un long séjour et de nombreuse pérégrination, Paul quitte la Turquie. Des séparations, nous en vivons de bien des sortes dans notre vie, et peut-être tout particulièrement en cette période estivale : départ en vacances ou retour de vacances sont souvent des occasions de se dire au revoir.

Pourtant nous voyons bien que ce récit de séparation là est un peu différent.



Tout d’abord, nous entendons bien qu’il ne s’agit pas d’un au revoir mais clairement d’un adieu. Si la Bible ne raconte pas la mort de Paul, il est évident d’après ce texte, que Luc a pris en compte une mort violente de Paul, une mort dans la persécution.

Mais même en tenant compte de cette mort annoncée, on est frappé par l’extrême noirceur de ce texte. D’ordinaire, dans la tristesse de la séparation, on évoque les bons souvenirs des moments passés ensembles, ou bien les retrouvailles à venir et si ces retrouvailles ne sont pas possibles on s’exhorte à tenir bon, on se souhaite tout le bonheur du monde, on se promet des jours meilleurs. Bref, on essaye d’apaiser la tristesse, de positiver, en quelque sorte. Mais ici, rien de tout cela : dans le discours de Paul aux anciens rassemblés à Milet : la séparation est dure, le passé a été dur et la suite sera plus dur encore. Bonjour l’ambiance !

De plus, Luc réussit à rendre dans le discours de Paul un des aspects les plus agaçants de ses épîtres : ce côté qui nous parait parfois très prétentieux, très imbu de lui-même ; enfin, la mise en garde contre les loups qui menacent le troupeau résonnent particulièrement douloureusement à nos oreilles protestantes qui savent ce qu’ont entraîné les chasses aux hérésies… (Encore que nous ne devrions pas oublier que nous avons toujours nos propres hérésies et que nous n’avons pas tout à fait banni le réflexe inquisitorial de nos Eglises). Tout cela ne nous rend pas ce texte très sympathique ni très abordable...

Et pourtant, justement pour tout cela, c’est un texte particulièrement nourrissant. Et pas seulement pour les périodes de départ ou de séparation.



Tout d’abord, ce texte nous rappelle que la vie chrétienne n’est pas toujours rose, qu’une communauté peut traverser des crises graves, qu’un ministère (pastoral, missionnaire ou de conseiller ou de catéchète) peut se passer dans la souffrance et le rejet. C’est un rappel inutile ? On le savait déjà ? Peut être. Encore que les discours du type « tout ira bien, ce n’est pas si grave, tout finira par s’arranger ne sont pas si rares dans nos communautés, il me semble… Mais le discours d’adieu de Paul ne se contente pas de dire la réalité du mal et de la souffrance, y compris dans notre vie chrétienne, ce discours contient une affirmation essentielle, une affirmation trop souvent oubliée : ces difficultés, ces crises, ces échecs ne sont pas le signe d’une malédiction contre nous, elles ne sont pas le signe que nous faisons mal notre « travail » ou que nous serions de mauvais chrétiens. Elles arrivent simplement. De façon incompréhensible parce que le mal c’est toujours incompréhensible. Bref, en évoquant tout ce mal-être, toutes ces difficultés passées, présentes et à venir aux anciens rassemblés à Milet, Paul nous délivre du sentiment de culpabilité qui accompagne souvent le malheur. Non, tout ce qui nous arrive n’est pas toujours de notre faute. Et surtout, les crises que nous traversons ne sont pas la preuve ni le signe que Dieu nous a délaissé.



Nous avons parfois l’impression que en lisant les épîtres ou les compte rendus de discours de ce genre que Paul a quand même une très haute opinion de lui-même, c’est que nous oublions ou comprenons mal à quel point Paul a le sentiment d’être habité, conduit, dirigé même par un autre que lui-même. Il est « prisonnier de l’Esprit », « au service du Seigneur en toute humilité. ». Ce n’est pas moi qui vit, c’est Christ qui vit en moi écrira-t-il aux Galates.

Face aux difficultés, Paul ne se dit pas : « j’ai mal agis, le Seigneur est contre moi », il se dit « c’est en Jésus Christ que j’affronte ces difficultés et par lui, je serai vainqueur. » C’est un discours que Luc a très bien compris et qu’il rend en décrivant le martyr à venir de Paul de la même manière que la passion du Christ, en mettant dans la bouche de Paul, le testament de Jésus Christ. Et non ! ce n’est pas de l’orgueil ! C’est de la foi. C’est la conviction profonde que Jésus Christ vient à moi-même si j’en suis profondément indigne, c’est l’assurance que Jésus Christ vient habiter ma misère et me transformer.

Attention, il ne s’agit pas de tomber dans le dolorisme : à aucun moment Paul ne dit « Christ est en moi parce que je souffre pour lui », et encore moins « Christ veut que je souffre pour lui ». Il ne dit pas non plus « mes souffrances sont la preuve que Christ est en moi », il ne cède pas à la tentation de la persécution, cette logique paranoïaque qui veut que « puisque les gens s’acharnent contre moi, c’est bien que j’ai raison… » Ses souffrance ne sont pas méritoires pour Paul et elle ne sont pas la preuve qu’il a raison. En fait, il s’en serait volontiers passé. Il a connu aussi dans son ministère des moments de joies et, dans ces moments de joie, dans les moments où tout lui sourit, il affirme aussi la présence du Christ et il rend grâce. Simplement, il continue à sentir cette présence même quand les choses vont moins bien, même quand elles vont au plus mal.

Et je crois qu’après Paul, après Luc, tout chrétien peut affirmer la présence du Christ même au plus noir de l’échec, même au plus sombre de l’angoisse. Et affirmer ainsi la présence de Jésus Christ, ce n’est pas seulement dire Dieu est avec moi et il me porte dans mes moments difficiles, mais c’est affirmer que son œuvre de résurrection s’accomplit pour nous dans ces moments difficiles. Christ est avec nous quand nous sommes au fond du gouffre, quand nous gisons accablés de souffrance. Oui. Mais il ne se contente pas de nous consoler, il nous relève.



Je crois que c’est à la lumière de cette affirmation qu’il faut comprendre la mise en garde contre les loups féroces. La menace est tellement vague qu’il est facile de l’utiliser pour dénoncer n’importe quel discours théologique avec lequel je ne serais pas d’accord. Le loup féroce qui menace le troupeau, c’est forcément celui qui ne pense pas comme moi. Mais plutôt que de partir en chasse contre les hérésies, plutôt que d’aller éplucher les lettres de Paul pour affirmer que je suis bien fidèle à sa doctrine, je crois que ce qui compte c’est de garder l’affirmation essentielle : Jésus Christ nous rejoint dans nos morts pour nous relever et nous conduire à la vie : J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous que Jésus Christ et Jésus Christ crucifié, écrivait Paul aux corinthiens. Tout ce qui compte c’est que je sache, que nous sachions que Christ est à nos côtés quand nous sombrons et qu’il nous relève. Forts de cette assurance, nous pourrons donner à notre tour notre témoignage. Pas un témoignage triomphaliste qui nie les difficultés, pas un témoignage conquerrant qui écrase les opinions différentes, un témoignage humain jusqu’à la fragilité mais qui offre à tous et à toute une espérance nouvelle.



Frères et sœurs, dans nos départs comme dans nos arrivées, dans nos séparations comme dans nos rencontres, dans nos peines comme dans nos joies, nous avons l’assurance que Jésus le Christ, est avec nous qu’il nous relève et nous appelle à vivre de sa vie.



Amen

Publié dans Prédications

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